Depuis 4 ans que je vais en vacances dans le Chablais cette montagne
à la forme assez particulière, très visible depuis l'autoroute à
la hauteur d' Aigle, me faisait de l’œil. Il m'a fallut du temps
pour l'identifier, difficile d'en prendre une photo correcte tout en
conduisant.Mais finalement en juin, un ami connaissant assez bien le
Valais s'exclame en voyant la énième photo prise maladroitement en
maintenant le volant droit, 'mais c'est la Dent de Morcles ! »
OK message enregistré... fin juillet me voilà de retour dans la
région et je décide de m'arrêter à Morcles pour enfin me balader
au dessus de cet étrange sommet minéral.
Après un voyage exténuant de part les travaux, les accidents mais
surtout la canicule, je me lance sur la montée entre Lavey et
Morcles. Dans mon idée, j'allais bivouaquer au niveau du parking des
Martinaux pour me lancer sur la randonnée tôt et éviter les 38°
prévus en pleine journée. Cependant, après une douzaine d'heures
dans l'habitacle d'une voiture, rien ne me paraît moins excitant
qu'une soirée à la belle étoile. En gros, je veux une douche. La
route se rétréci de plus en plus...j'arrive dans le village de
Morcles où des panneaux rappellent aux automobilistes de ne pas
dépasser les 50 M/H pour la sécurité des enfants... au vu de la
largeur de la route et des angles aigus qui servent de virages je ne
vois pas comment on peut dépasser 20 KM/H.... Finalement je passe
devant une auberge, aucun autre commerce dans le village... Je me dis
que peut être, on ne sais jamais, sur un malentendu... euh non, je
disais donc peut être, cet établissement proposerait des services
hôteliers à prix raisonnables... Je m'arrête donc et je vois
directement que ça ne va pas être le cas... j'ai déjà de la
chance si le patron me sert un verre d'eau minérale. Je pose la
question et la réponse est claire 'non'. Bon je lui demande quand
même où se trouve le parking pour aller à la Dent de Morcles, il
me regarde avec des yeux comme des billes et me dit 'mais c'est
dangereux ça'. Je lui réponds que je ne compte pas m'élancer sur
le chemin dès ce soir mais que il y a peut être une cabane ouverte
avec une place pour moi. Apparemment l'idée que j'aille sur la dent
le laisse dubitatif et il revient à la charge 'elle est à 3000M la
dent, c'est pas une balade', gentiment je lui dis que je suis
consciente du type de chemin que je vais emprunter mais que je
voudrais me reposer avant de la faire et que donc je cherche un toit
ou un endroit pour planter ma tente... il n'en démord pas...
clairement dans sa tête je n'ai vraiment pas la stature pour ça. Il
reprend 'il y a des névés et des Hollandais sont morts l'an passé.
Vous voyez ce que c'est des névés ?' 'oui oui monsieur je vois
très bien, j'ai même pris des crampons avec, et je compte demander
aux gardiens de la cabane ce qui est prudent de faire'... Ca marche
comme un électrochoc, 'ah oui la cabane de la Tourche. Vous garez
votre voiture aux Martinaux et vous montez à pied mais il y en a
bien pour 2H30 à pied' (la nouvelle ne me réjouit pas plus que ça
mais je ne le montre pas). Je lui demande comment aller aux Martinaux
et il me montre, droit dans la pente. Je pense qu'il a confondu ma
voiture avec un hélicoptère. Ca doit être la chaleur (très
prononcée malgré les plus de 1000M d'altitude. Je reprends la
voiture et je redescends dans le centre du village, certaine d'avoir
vu un panneau avec 'les Martinaux ' écrit dessus. Je monte une
rue de plus en plus étroite pour arriver à une clôture. Bon là je
pense que ma bonne étoile était avec moi... je vois sur la droite
un ravissant chalet '
les marmottes chambres d'hôtes '
Clairement je n'étais pas sur la bonne route pour le parking des
Martinaux mais sur la bonne pour une douche. Après une mise d'accord
pour le payement (j'avais dépensé une bonne partie de mon trésor
de Francs suisses en bouteilles d'eau fraîche sur le chemin) me
voilà assurée d'un toit et d'une salle de bain pour la nuit. Ces
chambres d'hôtes sont tenues par des gens tout à fait charmants et
je pense ont un prix très raisonnable pour la Suisse. Leurs deux
chiens sont en outre magnifiques:-)
Au soir après un peu de repos revigorant,je vais me dérouler les
jambes dans la forêt voisine, juste en dessous de la Dent. Là,
évidemment les paroles de l'aubergiste me reviennent en tête et en
voyant ce monolithe de juste en dessous je commence à douter et à
avoir peur. Ne suis-je pas trop ambitieuse, après 900 km de route
dans une chaleur étouffante et sans entraînement particulier ?
Je rentre perturbée au chalet après 10 KM et un agréable passage à
gué.
Comme mes hôtes sont matinaux je vais pouvoir me lever tôt. Réveil
à 6H30 et départ à 7H00 pour le fameux parking des Martinaux. La
propriétaire me prévient que la route n'est vraiment pas bonne. Une fois passé le télésiège ça s'avère être un euphémisme. Je
crains pour ma voiture, en plus d'une pente raide, la route tient
plus d'un sentier 4X4 que d'une route véritable. Ma voiture n'a RIEN
d'un 4X4, ajoutez ça une succession de virages en épingle à
cheveux. J'espère au fond de moi ne rencontrer personne en sens
inverse. Bingo un pick up à remorque avec une citerne à lait
descend...Le gentil conducteur voit ma face décomposée et fait lui
la manœuvre pour me laisser passer. J'arrive enfin à ce fameux
parking... La vue sur la vallée est ébouriffante. Il fait froid,
j'avais oublié ce que ça voulait dire.
Vue sur la vallée depuis le parking des Martinaux . Le Rhone qui serpente entre les contreforts du Chablais et au fond le Léman
Vue de la Dent de Morcles depuis le parking des Martinaux
Je me change je mets une polaire (oui oui il fait froid comme ça) je
prends des gants. Et me voilà sur le chemin, je papote un peu avec
deux personnes qui vont aussi à la Dent mais ils veulent faire
l'arrête. La course semble belle, très belle même mais je m'en
tiens à mon idée, qui est la manière classique et qui me semble la
plus sure. Je n'aurais pas refusé un peu de compagnie, surtout que
le plus âgé des deux m'expliquait qu'il comptait voir beaucoup
d'animaux en passant par là. Je me méfie juste un peu des gens qui
sont trop confiants... La montée vers la cabane est raide, je
m'imagine la faisant avec mon sac de couchage, vêtements etc la
veille au soir. C'était très optimiste d'imaginer ça...
heureusement que les chambres d'hôtes la Marmotte se sont trouvées
sur mon chemin. Le chemin quitte la forêt initiale et le paysage se
découvre un peu plus. C'est déjà somptueux. J'aurais pu prendre un
chemin 4X4 et arriver plus directement sur le chemin de la Rionda
mais j'aimerais demander au refuge au sujet du fameux névé et aussi
remplir ma gourde. Après un peu moins d'une heure de montée environ
me voici au refuge. L'eau n'est pas potable et la gardienne est peu
encline à se prononcer sur quoi que ce soit niveau du chemin. Elle
m'assure par contre que l'eau de la fontaine de la Rionda est
potable. Je pourrai remplir ma gourde là. Je rejoins donc le chemin
de la Rionda en me disant que je ferai demi tour si besoin.
Le chemin longe d'anciennes installations militaires et c'est un
chemin plus ou moins carrossable. La rando est donc très facile.
C'est le chemin de la randonnée itinérante qui fait le tour des
Muverans. Arrivée à la Rionda, je remplis ma gourde. C'est
évidemment le dernier point d'eau. Le chemin quitte maintenant le
Tour des Muverans et s'élance en lacets vers les tours minérales et
la grande vire en dessous de la Dent. D'ici elle a l'air vraiment
redoutable, austère et sèche. Je suis contente d'être partie tôt,
moins de chance de prendre un caillou d'en haut.
Vue sur le massif de Mont Blanc depuis le chemin qui monte à partir de la Rionda
A la Rionda bifurcation vers la Dent
Le chemin est étroit mais facile, il ne présente aucune technicité,
c'est terre et cailloux. Tout tient, ça monte assez sèchement mais
sans être extraordinaire non plus. Je commence à croire que je vais
m'y retrouver là au-dessus. Juste après la Rionda on passe de
l'autre côté d'une épaule et la vue change du tout au tout, une
vision sur les glaciers et le Mont blanc donne une tout autre
ambiance. L'herbe et les fleurs se font de plus en plus rares et
j'arrive bientôt dans un univers sec principalement calcaire. Le
chemin devient beaucoup plus technique sans être complexe. Le
sentier existe et est visible tout le temps, par contre il est étroit
et il ne faut pas mettre un pied de travers. Mais j'ai toujours au
moins la largeur de mes épaules pour marcher. Les pentes sont raides
et caillouteuses, si je tombe il ne faut pas envoyer les secours ça
ne sert a rien. J'ai lu un compte rendu qui expliquait qu'un groupe
avait fait cet itinéraire fin de printemps et que les pentes étaient
encombrées de corps de bouquetins en putréfaction, bonjour
l'odeur. Je pense que ça devait être une légère exagération mais
clairement si on tombe on ne tombera plus jamais après. Au loin je
vois la cabane militaire désaffectée dont on parle dans les topos,
elle se fond dans le paysage.

Je marche dans un décors lunaire, où mes pas résonnent. Il fait
très sec. Je m'arrête sur le banc de la cabane pour boire un peu et
petit déjeuner, miam les barres de céréales Aptonia... un délice,
mais pour la digestion c'est mieux. Je sais que ça passe. Les dents
du Midi paraissent maintenant proches. Je ne sais pas à quelle
altitude je me trouve mais ça doit dépasser les 2500M puisque ma
montre indique que je me suis déjà élevée de 800M. En dessous du
banc, quelques petites fleurs poussent je ne pense pas que j'en
verrai encore beaucoup après.
Les Dents du Midi
Je prends aussi une photo du chemin parcouru, si ça reste comme ça,
alors la réputation de la rando est surfaite. Ce chemin est
raisonnablement facile, clairement étroit mais facile.
Le chemin parcouru étroit mais sans complexité
Évidemment, le chemin va se compliquer. Heureusement lors de mon pit
stop à la cabane militaire, j'ai aperçu un autre randonneur
derrière moi. Je me sens un peu moins seule pour aborder ce que je
découvre derrière le virage de la cabane. Le chemin devient très
étroit avec parfois très peu de place pour passer. Il faut
maintenant suivre des traits bleus toujours très présents. Je suis
maintenant sous une vire, la vire principale celle qu'on voit sur les
photos prises dans la vallée, cette grosse vire surplombante rend le
passage malaisé. Le chemin de gauche va sur la vire celui de droite
à la dent. Allons à droite. J'ai un peu l'impression d'être dans
Alice au Pays des Merveilles à la croisée des chemins. En une fois,
cette rando prend une dimension tout à fait symbolique de l'endroit
où je me trouve dans ma vie.
Pour la portion de la rando qui arrive j'ai très peu de photos, en
fait je n'en ai pas. J'ai du mal à garder mon équilibre quand je
passe de l'image de l'appareil photo à la réalité, et une perte
d'équilibre n'est pas au programme. Le sentier est parfois à peine
tracé et serpente dans des masse de cailloux instables. Je suis
vraiment contente de n'avoir personne au dessus. Le randonneur aperçu
plus tôt est suffisamment éloigné également pour ne pas risquer
de trop. Je ne voudrais pas lui balancer quelque chose dans la figure
et qu'il tombe. La trace est de plus en plus raide et je dois
régulièrement utiliser mes mains pour m'aider. Je suis contente de
n'avoir aucun problème avec la verticalité quand je vois les parois
qui m'entourent. C'est un magnifique poème minéral qui se décline
dans des tons ocres et blancs... Je me sens toute petite. Ce qui est
clair aussi c'est que le demi tour n'est pas possible, il faut
continuer jusqu'au bout. Je me pose d'ailleurs la question de la
redescente. Je ne me vois pas redescendre ce sentier et devoir
croiser ceux qui montent...il va falloir aviser en haut. Il y a, j'ai
lu un autre sentier pour la descente, qui amène juste en dessous de
la vire. Ce serait une bonne option je pense. Je continue, ça
devient moins malaisé avec des lacets étroits et très raides, je
sais que j'arrive à la fameuse cheminée pour laquelle la Dent est
très célèbre. Ici les pierre sont grosses et moins instables. Ce
n'est plus ce petit grava qui fonctionne comme un roulement à
billes. Mais le chemin passe parfois sous un gros surplombs et j'ai
du mal à me tenir droite. Je me sens par contre beaucoup plus à
l'aise. Je me retourne un instant et je découvre à quel point je
suis haut. Le sommet est tout proche. Voilà la cheminée avec le
gros bloc coincé, il faut passer au dessus, c'est un petit pas un
peu type escalade, du 4A max, mais à 3000M d'altitude avec le vide
en dessous, ça donne une autre ambiance. Je pense qu'il y a moyen de
passer par en dessous pour les petits gabarits de mon style mais avec
le sac à dos je préfère pas. Je passe par dessus c'est pas
difficile et le reste de la cheminée est faite à moitié en
marchant à moitié à 4 pattes.

Sortie de la cheminée, on devine bien la raideur de cette partie. On émerge de la fente dans le rocher
LE choc c'est quand j'émerge... le
paysage de l'autre côté est totalement différent. C'est très
surprenant. Les pentes sont plus douces mais elles mènent à un à
pic. La vue est extrême aussi, les Muverans et pleins de sommets que
je ne connais pas... Des névés (pour l'aubergiste) de la pierre et
pas grand chose d'autre.


Les Muverans
La dernière partie de l'ascension se fait sans difficulté pour
finalement atteindre la croix sommitale.
La vue à 360 degré est époustouflante. Des nuages cachent pas mal
de sommets suisses, et le dessus du Mont Blanc est caché également,
ça reste une vue inoubliable entre le lac Leman d'un côté, le
Chablais les préalpes fribourgeoises, les préalpes vaudoises le
grand Combin et tout une série de 4000 que je devine dans les nuages
(OK j'admets le randonneur qui était derrière moi est finalement
arrivé et m'a donné quelques explications)
Fin de la rando
Le Sommet
La Redescente :
Se pose maintenant la question du chemin pour redescendre. Je demande
à l'autre randonneur si il a déjà entendu parler du chemin dont
j'avais entendu parler. Il acquiesce me dit juste que ça va être un
peu plus long. Il me rassure aussi au niveau du névé, il est midi,
a neige sera molle et gorgée d'eau, ça ne devrait pas trop glisser.
Il me prête sa carte aussi je peux donc voir le fin trait en
pointillés. Je suis donc les balises blanches et bleues. La descente
est particulière, d'énorme bloc de pierre de formes disparates sont
entassés là un peu par hasard. J'ai en tête l'intérieur d'un bac
de Duplo. Le névé se passe en effet facilement, il est très court
aussi à cette période de l'année, 5 pas maximum. Je suis néanmoins
prudente, car si je devais glisser je me retrouverais dans un trou
qui n'a pas l'air très hospitalier.
De bloc en bloc je me crois un peu à Fontainebleau : des ronds
jaunes indiquent les passages. C'est un jeu de piste qui m'amuse.
C'est moins impressionnant que l'autre côté mais il ne faut pas se
leurrer il serait facile de se blesser. Une mauvaise réception
suffirait. Mais bon je continue de sauter de bloc en bloc et de
descendre entre des parois striées. C'est un peu le jeu Super Mario
en application montagne et là encore un parallèle avec ma vie me vient
en tête. Toute ces opportunités qu'il faut parfois un peu aller
chercher ce sont comme les bonus de super Mario, il faut bien viser
mais ça donne du relief à ma vie. Parfois du relief positif parfois
du négatif mais ça reste des expériences qu'il faut assimiler et
dont il faut tirer parti. Soit comme des erreurs à ne plus commettre
soit comme des choses positives qui ont multiplié les possibles.
Parfois on fait des rencontres positives ou pas, trompeuses ou pas,
insignifiantes ou pas. Parfois les gens nous déçoivent parfois on
s'en éloigne mais la vie reste ce jeu un peu fou où l'on saute de
bloc en bloc de rond jaune en rond jaune pour aller à sa
destination, et si on suit son chemin et pas celui des autres, la
destination sera la bonne.
J'arrive finalement au pied de cette zone là où je devrais
rejoindre le chemin de l'aller, mais immergée dans mes pensées je
ne m'en rends pas compte. Je continue les balises bleues et blanches
si ludiques... et ce n'est que bien plus bas que je croise un couple
de randonneurs et que je me rends compte que je suis beaucoup trop
bas. Je leurs parle un instant et ils me situent. Je suis sur le
chemin du col de Fenestral, je me rappelle avoir regardé le
descriptif du Tour des Muverans ce matin à la cabane de la Tourche
et le refuge de Fenestral était dessus. En toute logique je devrais
pouvoir rejoindre la Rionda et la Tourche en suivant ce chemin. Je
leurs demande et le monsieur me répond que j'en ai pour 4 heures de
marche mais que c'est une option viable et que tour sera beau. Je
dois descendre sur le lac de Jully. Je peux demander à la cabane de
Fenestral, ils me renseigneront volontiers.
Je continue donc mon chemin ludique moins cabossé et au détour d'un
gros bloc, je me retrouve nez à nez avec un bouquetin. L'odeur de la
bête est fétide mais quelle magnifique surprise ! Il est là
je pourrais le toucher si j'avance la main. Je fais un geste vers mon
sac a dos mais il continue son chemin tranquillement, je ne souhaite
pas l'effrayer, donc je ne bouge plus. Je suis chez lui, je dois le
respecter. Vers ma droite j'entends des éboulis et sur le névé, en
hauteur, tout un troupeau joue et court : quel bonheur de
regarder ces animaux en toute liberté ! Une colonne déboule
vers moi ils sont loin mais la première moitié passe, peu de temps
après, à une 50aine de mètres sans même me regarder, l'autre
moitié du troupeau remonte sur des pentes abruptes et enneigées,
avec une facilité déconcertante, c'est la cours de récré des
bouquetins et leur agilité laisse rêveur.
Je continue et au plus je descends au plus je suis entourée de
bouquetins, il y en a partout. Sur une arrête une sentinelle me fait
comprendre qu'il y a encore un troupeau de l'autre côté. Je décide
donc de suivre l'arrête vers le col de Fenestral avant de descendre
à la cabane, plus tôt qu'y descendre directement. En effet dans la
neige, tout un troupeau remonte, deux jeunes jouent un peu en
contrebas. C'est presqu' incroyable pour la citadine que je suis de
les voir jouer comme ça en toute quiétude. C'est soit une tolérance
envers nous construite sur la confiance que les randonneurs sont
inoffensifs, soit ils se savent plus forts et plus rapides...Assez
d'anthropomorphisme et laissons les jouer insouciants et beaux. Au
loin, vers le lac j'entends des sifflements, les suivantes seront les
marmottes je pense.
Je m'arrête à la cabane et je suis accueillie très chaleureusement
comparé à la Tourche ce matin. Les gardiens prennent le temps de
converser de savoir où je veux aller et me proposent deux
itinéraires. Le sentier de GR du Tour soit un chemin aérien. Je
pense savoir ce qu'il veulent dire par chemin aérien : c'est
rebrousser chemin et reprendre le col au pied de la dernière vire de
la Dent. Ce n'est pas ce que je veux faire, je descends donc vers le
lac, non sans avoir acheté une bouteille d'eau fraîche. On est en
plein temps de midi et il fait chaud. Le soleil donne et je regrette
d'avoir oublié ma crème solaire en Belgique. Le lac au fond de la
combe rutile de mille feux, son eau bleue intense donne envie de
plonger, mais au delà du problème de maillot, je me méfie toujours
des lacs avec des barrages, les courants peuvent y être très forts
et le fait que personne ne s'y baigne n'inspire pas confiance.
Le Lac de Fully
Le Vallon s'insère dans un paysage spectaculaire de Dents et de Tours bien minérales, mais en lui -même c'est un écrin de verdure
Plus je descends plus il fait chaud, et j'entends des sifflements
stridents de toutes parts. L'endroit est idéal pour des marmottes.
Elles doivent être là mais elles sont sans doute plus malines que
moi. Au cas où, pour ne pas me retrouver sans appareil photo si je
devais en rencontrer une de près je sors mon appareil. Je descends à
bonne allure. Je sais que j'ai une longue route en face de moi, et je
ne veux pas traîner. Je jette un coup d’œil par dessus mon épaule
et là je tombe sur deux marmottes, proches, très proches même. Ces
deux adorables petite bêtes sont face à face et ne bougent pas...
immortalisées... je suis surprise qu'elles ne m'aient pas vue. Elle
regardent dans l'autre direction et puis continuent leur jeu. On
diraient qu'elles jouent à se taper dans les mains , de nouveau
j'ai l'impression de me retrouver dans une cours de récréation.

Je
continue et dans la partie du vallon qui descend vers le lac, il y a
une marmotte sur toutes les pierres. Pas trop près du sentier, bien
sur elles sont quand même farouches mais ça se repose, ça bronze,
ça joue de terrier en terrier. C'est vraiment incroyable de voir les
animaux si libres de leurs jeux alors que je passe dans leur
territoire. C'est un peu le propre de ce genre de randonnées, les
chemins principaux sont remplis de monde et on y voit peu de vie
'sauvage' mais les sentiers plus risqués ou moins fréquentés,
laissent aux promeneurs la chance d'apercevoir la vie de la montagne.
Je me sens privilégiée d'assister à tout cela.
La vue depuis le lac est majestueuse, je ne pense pas que mon
appareil photo puisse rendre l'impression de ces montagnes écrasantes
autour de moi. C'est beau à en couper le souffle.



C'est beau mais
aussi plus rassurant que la majesté du matin. Ici je suis dans des
alpages larges aérés gardés par des sentinelles de pierres. Rien
d'oppressant ni d'écrasant, ici ça respire la joie et la vie. Les
sons ne se répercutent pas sur des parois calcaires dans un écho
funeste, ici c'est sifflement de marmottes, bourdonnements butineurs
et clarines. L'ambiance est tellement différente : ici je suis
dans la carte postale qu'on envoie à ses collègues pour leur dire
qu'on est dans un endroit merveilleux. Je me dis qu'il y a quand même
quelque chose de troublant, entre ce que j'ai vu ce matin et qui ne
figure sur aucune carte postale qui est d'une beauté écrasante, et
ce vallon tellement vivant ... avec les moyens modernes ont pourrait
sans difficulté photographier les sentier pierreux et secs de ce
matin, dans toute leur beauté et leur majesté mais personne n'y
pense (tant mieux)... je pense que l'un respire l'oppression, c'est
la montagne qui tolère les humains, c'est une montagne d'exclusion,
tout le monde n'a pas accès à ces sentiers, ils demandent une
certaine habitude de la montagne, une tolérance du vide et du risque
et, mine de rien, une certaine condition physique même si ça
n'était pas énorme comme exigence dans le cas de la Dent de
Morcles, la Haute Cîme étant clairement plus exigeante à ce niveau
là. L'autre, c'est la montagne de la joie, de la vie et c'est ça
qu'on envoie comme souvenir, c'est ce qu'on dessine dans les livres
d'enfants. C'est la montagne bienveillante, physique aussi (le tour
de Muveran c'est long et à certains moment ça monte bien) mais
accessible avec un minimum de bonne volonté et d'effort. Au cours de
conversations longues et souvent animées sur ce qu'on vient chercher
en montagne il ya souvent des visions de liberté, de grandeur,
d'exploits qui ressortent. Je ne pense pas que ça me convient comme
vision, je ne suis pas ressortie grandie de ce sentier, que du
contraire, je me suis sentie toute petite face à cette montagne qui
m'a donné l'occasion de fouler son sommet. Mon ego n'est pas plus
gonflé, je ne pense pas que j'ai réalisé un exploit. Je suis très
contente d'avoir pu faire ça mais c'est plus la joie d'avoir été
acceptée par la montagne. Dans certains pays d'Asie on dit que les
montagnes ont une âme, que ce sont les résidences des Dieux et des
démons, et qu'elles acceptent les humains ou les refoulent. J'ai
sans doute été un peu contaminée par cette vision. Si on
l'approche avec humilité et respect, on a l'occasion parfois de
vivre des moments comme celui que j'ai vécu à la sortie de la
cheminée. Je pense qu'il y a là une piste de réflexions, de
réponses peut être. Certaines personnes y viennent pour se sentir
dans les 'happy few' et jouent avec des limites et ça c'est le vrai
risque en montagne. Il y a des risques pour les autres bien sur mais
on ne joue pas avec ses limites de la même façon.
Je réfléchissais aussi aux histoires de morts sur la Dents, les deux
morts dont j'ai entendus parler sont tombés à des moments qui
n'étaient pas les plus techniques (d'apparence) mais ceux où après
un moment perçu comme exclusif et dangereux on s'accorde une pose
d'attention, on veut immortaliser le moment, et c'est ça pour moi la
difficulté de ce sentier qui monte à la Dent depuis la Rionda, il
va crescendo en difficulté et l'attention doit être maximale
pendant un très long laps de temps, ce qui n'est pas du tout la même
chose que les autres randonnées engagées que j'ai faites.
L'attention peut se relâcher à la sortie de la cheminée et que
l'on reçoit ce paysage incroyable dans la figure. Mais les 3KM
précédents sont hyper intenses et les effets de l'altitude ne
doivent pas être négligés. Évidemment, je suis passée des 50M
d'altitude de Bruxelles aux presque 3000 de la Dent en une fois mais
dans tous les cas c'est notable.
Mais pour revenir au sentier... je quitte donc le vallon du lac de
Fully et je remonte sur le sentier balisé blanc et rouge du tour des
Muverans. Il monte assez raidement mais c'est un sentier classique. A
partir de maintenant je suis dans une rando normale, les quelques
passages un peu moins surs seront chaînés. Je rencontre d'ailleurs
deux personnes en train de vérifier les chaînes présentes et
ajouter de l'équipement. Nous bavardons un peu et ils se montrent
très appréciatifs du tour que je suis en train de faire. Ils me
disent que c'est un tour exigeant à la fois en rando alpine avec
l'ascension et ensuite en terme d'endurance avec le tour par Fully.
Quand je leur pose la question de la non existence d'équipement dans
le couloir de la Dent de Morcles, ils sont clairs : ce n'est pas
équipé et ça ne le sera pas. C'est une rando alpine et il ne faut
pas s'y engager (par cet itinéraire) à la légère. Clairement
c'est un argument percutant, si trop de monde se retrouve dans ce
couloir les chutes de pierre vont rendre l'accès encore plus
périlleux. Comme on dit en anglais : 'point taken'.
Au col de Demecre, il y a un refuge avec un groupe de jeunes qui
s'initie à l'escalade je les regarde un instant. Je me demande si
ils mesurent le privilège qu'ils ont de découvrir ce sport dans un
endroit pareil ... Une partie du groupe joue dans les rochers
éparses autours du refuge... c'est un terrain fantastique et ils me
rappellent un peu les marmottes et les bouquetins que je viens de
voir (sans l'odeur bien heureusement).
Le chemin est linéaire, un peu ennuyeux même si il se déroule dans
un cadre de rêve. Après deux heures de marche je suis de retour à
La Rionda et je suis un peu impatiente de retrouver ma voiture et
faire route vers la piscine la plus proche. Etant seule et pas très
propre, je préfère rouler jusque Châtel et
Forme d'ô. Le bassin
extérieur est fort fréquenté mais les jets d'eau me délassent la
nuque, et c'est un réel bonheur de s'asseoir dans les jacuzzi en
plein air. Je termine la journée par une délicieuse crêpe à la
Crêperie Bretonne, après tout on n'a que le bien qu'on se fait…
Vidéo des Bouquetins dans la neige. La facilité de leur progression sur une face aussi pentue laisse rêveur